Il fait nuit au 42 boulevard d’Armentières, ce 26 octobre 1943. Lili Rosenberg 11 ans et ses frères Robert 10 ans, et André, 3 ans et demi, ont préparé avec amour l’anniversaire de leur maman pour le lendemain. Mais à 3 heures du matin, plusieurs hommes de la Feld-gendarmerie, la police militaire allemande, envahissent la maison pour arrêter toute la famille. “Los ! Schnell ! [Allez ! Vite !]”, hurlent-ils, en défonçant tout sur leur passage.

En ce vendredi 25 février 2022, dans l’auditorium du Nouveau Siècle à Lille, Lili Leignel, 89 ans, raconte cette arrestation devant 1 400 écoliers, collégiens et lycéens de la métropole lilloise, comme elle le fait depuis quarante ans partout dans l’Académie de Lille, en France et à l’étranger. “Ça me tient à cœur que vous sachiez que la guerre est la chose la plus atroce qui puisse arriver”. Étant l’une des dernières survivantes de la déportation encore en capacité de témoigner, ce partage de son histoire lui est précieux, et c’est non sans émotion qu’elle l’a racontée : “bientôt, il n’y aura plus aucun déporté, ce sera à vous les jeunes de transmettre la mémoire.”

Des élèves captivés par Lili

Les élèves et leurs professeurs sont tétanisés. C’est la première fois que Lili intervient devant un auditoire aussi important et dans cette salle immense, pas un bruit, pas un chuchotement ne vient perturber le récit. Pas seulement parce que le moment est exceptionnel, mais surtout parce cette femme très âgée est un mystère pour tous. D’où tire-t-elle la force, près de 80 ans après les événements pour chaque jour, de raconter et raconter encore, avec une telle précision et de rendre son auditoire à ce point captivé ?

Au Nouveau Siècle, Lili témoigne debout pendant presque deux heures. Pour elle, “garder de la force pour transmettre, c’est très important.”

Elle raconte l’horreur du voyage vers le camp de Ravensbruck puis le déplacement à Bergen-Belsen, les conditions de vie inhumaines dans les blocs avec deux résistantes communistes, issues du monde ouvrier, Martha Desrumaux et Jeanne Têtard, et deux autres résistantes, Geneviève de Gaulle, nièce du général, et la comtesse Jacqueline d’Alincourt, du réseau de Daniel Cordier. “Quelle que soit notre origine sociale, nous étions soumis au même sort”, souligne Lili.

Une rencontre organisée avec le soutien de la Région

Elle décrit l’effroi, la souffrance, l’horreur des camps, les atroces sévices et humiliations commis par les soldats allemands, les multiples séparations déchirantes qu’elle a subies, et le sort qui était réservé aux catégories d’humains “destinés à disparaître de la surface du globe”.

Les adolescents lui demandent si elle a gardé contact avec ses compagnes d’infortune, si elle a rencontré le Général de Gaulle, comment a-t-elle fait pour survivre et posent des dizaines d’autres questions préparées avec soin avec leurs professeurs.

Quand les négationnistes ont commencé à dire que l’on n’avait gazé que les poux, je me suis dit que je ne pouvais pas laisser dire n’importe quoi”, conclut Lili Leignel, qui a commencé à témoigner à Lille, au début des années 1980. Son calendrier est désormais bloqué un an à l’avance. “C’est difficile, mais je dois témoigner tant que je tiendrai debout. Tout peut revenir, d’une façon différente”. Au Nouveau Siècle, le témoignage organisé par le lycée Pasteur de Lille a été rendu possible avec le soutien du Président de la Région Hauts-de-France très sensible au devoir de mémoire, et Mady Dorchies-Brillon, conseillère régionale déléguée à l’inventaire et à la mémoire.

Un message d’espoir à la jeunesse

Elle lance aux élèves : “les jeunes, vous êtes la France de demain, j’ai foi en vous, car vous serez mes messagers. Moi, je ne connaîtrai plus la paix. Mais vous, vous pouvez l’obtenir !”. Consciente du rôle des jeunes dans le maintien de la paix, à l’avenir, elle en a fait sa mission de les avertir sur les dangers de l’intolérance : “le mal est partout, soyez vigilants, soyez tolérants, soyez courageux, acceptez les différences qui vous enrichissent” mais aussi ceux de la guerre. “Je peux le dire, je ne sais pas quand, un jour, il y aura la paix dans le monde grâce aux jeunes.” Un beau message d’espoir au cœur de l’actualité.

Avant de terminer, d’une voix juste et douce, elle entonne ce qu’elle chantait dans les camps. Le “petit plus” de son témoignage, comme elle dit. Une berceuse hollandaise, une comptine en polonais, une autre berceuse en tchèque qu’elle traduit, et une version toute personnelle de “Je chante” de Charles Trenet : “On souffre, on souffre du soir au matin…”. Dans les camps, ces chansons constituaient pour elle et les autres déportées des moments de partage et d’évasion.

Un témoignage qu’on n’oublie pas

Quand on lui demande jusqu’à quel âge elle témoignera, Lili n’hésite pas : “jusqu’à 100 ans ; et après, on verra !”

L’auditoire n’en revient pas de la voir si vivante, de l’entendre parler avec une telle force. À la fin du témoignage, certains élèves viennent la voir, lui dire un petit mot chargé d’émotion, lui apporter un dessin ou lui remettre une lettre… Le temps de selfies n’est pas encore revenu. Lili raconte qu’il y a quelques mois, ayant dû se rendre dans un commissariat pour déposer plainte, le policier qui l’avait accueilli lui a dit “Madame, je reconnais votre voix, j’ai entendu votre témoignage il y a 20 ans lorsque j’étais collégien et je n’ai jamais oublié“.

Mission accomplie.

Article rédigé, photos et propos recueillis par Olivier Dupas, proviseur au lycée Pasteur de Lille.

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